Voilà plusieurs années que la mère des réformes sociales est entre les mains de la mère des ministères. Depuis 2008 au moins, il est de notoriété publique que l’un des principaux dispositifs de la protection sociale au Maroc, la caisse de compensation, est de plus en plus obsolète. Cette caisse, financée par le budget public, protégeait les marocains des fluctuations de certains produits de première nécessité ( gaz, sucre, huile, pétrole) en garantissant aux consommateurs des prix bas et fixes à même de garantir un minimum de dignité aux populations les plus pauvres du pays. Mais l’augmentation des prix à l’international de certaines denrées (que le Maroc importe en masse) obligeait l’État à supporter une charge fiscale de plus en plus élevée, qui en plus de limiter fortement toute autre initiative publique en faveur des plus vulnérables, s’avérait inefficiente jusqu’à l’absurde. On sait par exemple que ce sont des grandes entreprises de l’agroalimentaire et du transport qui ont par le passé bénéficié le plus des subventions du sucre et du pétrole supportées par la caisse de compensation.
D’une inéfficacité intrinsèque et d’un coût budgétaire exorbitant, la caisse de compensation a pourtant survécu à plusieurs gouvernements (depuis 2008 au moins). La lenteur de sa réforme s’explique probablement par la peur d’antagoniser une population qui considère le prix bas de certaines denrées comme un quasi-droit. Quant à la solution, elle est aussi depuis longtemps présente dans le débat public : la rationalisation des ressources de la caisse de compensation en les distribuant uniquement aux populations les plus vulnérables. Mais une telle réforme, impliquant une distribution d’aides directs aux populations confronte l’Etat à des questions qu’il semble curieusement ne s’être jamais posé sérieusement : qui mérite de recevoir des aides monétaires direct ? Comment identifier les populations les plus vulnérables ? Quelle est la définition d’une personne vulnérable ?
Ces questions, qui trainent au moins depuis 2008, succomberont à la couardise politique conjuguée à la frilosité technocratique jusqu’en 2018, date à laquelle le Roi Mohammed 6 officialise l’avènement du RSU. Décrit récemment par le magazine « telquel » comme un chantier « homérique », ce registre a vocation à répondre à une question périlleuse car hautement sensible : qui peut recevoir les aides publiques directes après la suppression du système de subvention par la compensation ?
A cette question, le ministère de l’intérieur a décidé d’opter pour la création d’un registre, le RSU, qui classe les ménages selon des indicateurs socio-économique basés sur leurs dépenses ainsi que sur leurs compositions et leurs régions de résidence.
Mais avant l’inscription au RSU, selon « telquel », il sera d’abord question d’une inscription au RNP, acronyme de registre national de la population, un registre qui a pour but de vérifier les identités de chacun. Ce n’est qu’après la vérification de l’identité des concernés que l’inscription au RSU devient possible.
Le RSU n’est pas un programme de soutien, mais un mécanisme destiné à améliorer le ciblage des populations selon des indicateurs socio-économique. Et c’est le score « RSU » d’un ménage qui conditionne alors son éligibilité ou non à des programmes sociaux.
Au sujet des indicateurs utilisés pour noter les ménages inscrits aux RSU, un responsable de l’intérieur a déclaré à « Telquel » « dites moi ce que vous dépensez je vous dirai combien vous gagnez ». Ces indicateurs reposeraient principalement sur la composition des ménages, l’éducation des enfants, le niveau des dépenses courantes, les actifs et le patrimoine, l’accès aux crédits, les conditions d’habitations…etc
Ci-dessous, retrouver les principales dates d’un chantier sociale hautement stratégique :
En 2012, L'Etat subventionnait encore le pétrole, et face à l'envolé des prix à l'international, le Budget de l'Etat a du verser prés de 56 milliards en charge de compensation, dont 48 milliards rien que pour maintenir un gasoil à 8dh et l'essence à 12Dh. Pour mettre ces chiffres en perspective, sachez que 56 milliards, c'est 6.5% du PIB de l'époque. C'est par exemple deux fois plus que que ce que le Maroc consacrait à son armée
L'inefficience des systèmes de compensation était connu depuis un bon moment déjà quand la cour des comptes publie un rapport qui rappelle en détails une incroyable incohérence au cœur de ce système : la subvention de pétrole bénéficie principalement aux entreprises de transports, aux agriculteurs et aux industriels ! Au fil des ans, la caisse de compensation est donc devenue malgré elle, un organisme de soutien à la compétitivité des agents (principalement des entreprises) économiques parmi les plus riches de la société. Un soutien, financé par le contribuable et qui profite aux plus riches, mais qui vient entraver toute initiative du Budget de l'Etat envers les plus démunis.
Le gouvernement Benkirane, profite d'une baisse des prix du pétrole sur le marché international pour supprimer les subventions des hydrocarbures. La réforme, qui traine depuis 2008 au moins est alors enfin acté. A ce propos, Mohamed Bousaïd, le ministre des Finances de l'époque déclarait à Jeuneafrique « Ces aides étaient utiles juste après l’indépendance, . Il y avait beaucoup de gens dans le besoin, et c’était le rôle de l’État de stabiliser les prix. Mais les subventions étaient devenues insoutenables. L’objectif maintenant est de cibler les plus démunis. »
A l'occasion de son discours du trône, le Roi Mohammed 6 qualifie le RSU de "Début prometteur, susceptible d'induire un accroissement progressif du rendement des programmes sociaux, à court et à moyen termes".
La loi 72-18 organisant le cadre légal permettant le ciblage des bénéficiaires des programmes sociaux et instituant la création de l'Agence nationale des Registres, est promulgué par la gouvernement El Othmani.
Le gouvernement El Othmani décide par décret, la création du Registre National de la Population et du Registre social Unifié (RSU). Rappelons que la différence entre le RNP et le RSU, réside dans le fait que le premier est destiné à la vérification et l'enregistrement des identités alors que le second est une sorte d'algorithme visant à classifier les ménages selon des indices socio-économiques préalablement arrêtés et qui vont déterminer l'éligibilité des ménages aux divers programmes sociaux.
Le ministère de l'intérieur met en place la phase pilote du RNP à Rabat et Kénitra en prioritisant les bénéficiaires du Ramed.
Le Roi Mohammed 6 rappelle la nécessité d'opérationnaliser rapide du RSU considéré par le souverain comme le "principal mécanisme pour l'octroi d'un soutien efficace". Selon Telquel, le ministère de l'intérieur travaille au déploiement du RSU à partir de janvier 2023.