En 1949, le ministre de la défense américain James Forrestal se suicida en sautant du 16éme étages d’un hôpital psychiatrique. Les médecins venaient de lui diagnostiquer une « dépression sévère », du genre qu’on retrouve chez les soldats souffrant de « fatigue opérationnelle due à la guerre ». Personne ne peut vraiment expliquer le geste du pauvre ministre mais on peut aisément que les débuts de la guerre froide et son lot de dilemmes stratégiques impossibles y sont pour quelques choses.
Dés la fin de la deuxième guerre mondiale et alors que les occidentaux pensaient qu’ils pourraient enfin avoir un peu de répit, une cascade de malentendus diplomatiques vint rapidement compliquer leurs relations avec les soviétiques. Dans son excellent « command and control », Eric Scholler rapport que « dés 1946, un accord international bannissant les bombes atomiques semblait à la portée, bien que les soviétiques accusaient souvent les américains de vouloir prolonger leur monopole sur le nucléaire. Mais en réalité, les États-Unis de l’époque n’avait pas vraiment le profil d’une puissance impérialiste recherchant la domination du globe : après la fin de deuxième guerre mondiale, le nombre de soldats américains passa de 8 millions de soldats à 1 millions. Le nombre d’avions de l’armée de l’air descendit de 80 000 avions à 25 000 aéronefs, dont un cinquième seulement était pleinement opérationnel. Navires et Tanks étaient en permanence envoyés à la ferraille et le budget militaire fut réduit de presque 90%. »
Mais alors que l’armée américaine connaissait sa plus importante démobilisation de l’histoire, des forces ineffables de par leur complexité rendirent les soviétiques de plus en plus antipathiques dés la fin de la deuxième guerre mondiale. « …l’offensive qu’ils menèrent en Mandchourie –qui déboucha sur l’occupation sur une partie de la péninsule coréenne et infine dans la plantation des germes du régime actuel de pyongyang, leur retard dans le retrait des troupes d’Iran ainsi que leurs demandes de territoires en Turquie et en méditerranée troublèrent l’administration Truman. Mais les racines de la guerre froide commencèrent vraiment en Allemagne et en Europe de l’Est lorsque les soviétiques commencèrent à y ériger une zone tampon et à mépriser leurs promesses d’organiser des élections libres en Pologne, où l’Union Soviétique imposa un gouvernement communiste » explique Eric Schosser dans Command and Control.
En réponse alors à ce qui devint rapidement la« menace soviétique », les américains se mirent à contempler dès 1947 l’idée de bombarder préventivement avec des armes nucléaires les villes soviétiques comme Moscou, Saint Pétersbourg et Kiev avant que l’URSS ne développe à son tour, la bombe atomique.
Cette option (la guerre nucléaire préventive…) était défendue par des éléments de l’armée américaine, des leaders tels que churchill ou des philosophes humanistes et pacifistes comme Bertrand Russel. Les américains finirent (heureusement) par tergiverser suffisamment jusqu’à ce que les soviétiques réussissent à percer à leur tour les secrets de l’arme nucléaire en 1949 lorsqu’ils firent exploser avec succès leur première bombe atomique.
L’option de détruire préventivement (en tirant le premier comme des cowboys !) leur ennemi avec des armes nucléaires maintenant plus difficile, les américains développèrent une nouvelle doctrine visant à déployer des armes nucléaires un peu partout dans le monde pour contenir l’union soviétique et s’assurer de pouvoir faire un maximum de dégâts le plus vite possible en cas de conflit nucléaire généralisé.
Dans ce contexte, le Maroc pourrait bien être le premiers pays à avoir accueilli des armes atomiques américaines complètes déployées à l’étranger. En effet, l’armée américaine y déploya des bombes nucléaires complètes dès Mai 1954, soit 4 mois avant l’Angleterre qui accueillit les premières bombes nucléaires américaines en septembre 1954. Le Maroc, alors sous protectorat français, fut choisi à cause de la vulnérabilité évidente des bases anglaises à une attaque soviétique. Les français ne furent pas informés de la présence d’armes nucléaires à sidi slimane, Benguerir et Nouacer.
Dans les années 1950, à Sidi Slimane, des bombardiers « stratégiques » B-47 participaient régulièrement à un exercice appelé « coco » durant lequel plusieurs de ces avions démarraient dès que le klaxon de la base sonné, pour accélérer ensuite l’un après l’autre jusqu’au bout d’une piste de 3600 mètres, pour finalement revenir aux stationnements qu’ils leurs été assignés. Il arrivait que les B-47 fassent près de 2 exercices « coco » par jour en cas de visite de « VIP ».
Le 31 janvier 1958, un bombardier B-47 participait à un exercice de ce type lorsque l’un de ses pneus arrière explosa pendant que l’appareil était lancé à plus de 30 km/h. L’avion tanga pour voir sa queue heurter le sol ce qui fit enflammer son réservoir. Le feu prit rapidement dans son fuselage et l’avion se brisa rapidement en deux. Les trois membres de l’équipage réussirent à évacuer l’avion en flamme et les pompiers de la base se déployèrent rapidement pour combattre le feu.
Cette histoire aurait probablement été oubliée si l’avion en question n’avait pas à son bord une bombe thermonucléaire « Mark-36 » dite aussi à « hydrogène », de « seconde génération » 700 fois plus puissante que la bombe larguée sur Hiroshima. C’est cette donnée qui poussa le commandant de la base de Sidi Slimane à ordonner son évacuation complète laissant l’avion avec la bombe H à son bord, en proie aux flammes. Alors que tout les américains s’enfuirent « vers le désert ».

Le feu consomma l’avion et la bombe pendant près de 2 heures sans déclencher d’explosion. Si les autorités américaines nièrent en 1982 la fuite d’éléments radioactifs lors de cet accident, on sait maintenant grâce à un rapport de la « Reynolds Electrical and Engineering Co » que l’épave de l’avion était hautement contaminé par du plutonium qui était détectable à plus de « 40 miles du lieu de l’accident, sur une base navale de la côte atlantique ». On retrouva aussi sur une personne près de 2.5 fois le dosage maximum de plutonium 239 permissible. Le San fransisco Examiner rapporta en 1982 que le crash laissa un grand nombre de véhicules et d’avions contaminés par les radiations de la bombe en flamme.
Quant à la bombe, il n’en restait plus que de la ferraille, dont une bonne partie fut chargée sur un bateau en direction des USA tandis qu’une autre partie des restes de la bombes fut enterrée près d’une route, à Sidi Slimane.
Cette histoire a été possible en grande partie grâce à Robert S. Norris, qui fut l’un des premiers chercheur à obtenir et partager des informations au sujet de l’accident de Sidi Slimane et que « punk.ma » a contacté par Email pour pouvoir écrire cette article. Les descriptions relatives à la contamination au plutonium ainsi que les précisions sur l’exercice « coco » sont directement tirés de notre échange avec Robert S. Norris. Le blog « unredacted » du Dr. William Burr a aussi publié un article très intéressant au sujet de l’incident de Sidi Slimane, vous pouvez le lire ici.