En quelques semaines, l’Ukraine a réussi à humilier la Russie en menant le mois dernier une offensive brillante permettant aux ukrainiens de reconquérir près de la totalité de la région de Kharkiv. Le 11 septembre c’est la ville d’Izium qui repasse sous drapeau ukrainien. Puis c’est à lyman, le 2 octobre, que les troupes du Kremlin subissent une défaite particulièrement infamante, après que l’armée ukrainienne détruisit des colonnes de véhicules russes qui fuyaient face à l’avancée ukrainienne, laissant derrière eux des routes jonchées de cadavres de leurs camarades russes. Depuis, les «faucons » russes comme le président tchétchène Ramzan Kadyrov, appellent à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques pour repousser des ukrainiens enhardis et de plus en plus confiants dans leurs capacités à vaincre militairement la Russie.
Mais alors qu’est-ce que les armes nucléaires tactiques ?
S’il est très peu probable que la Russe frappe avec des bombes nucléaires stratégiques, soit des bombes capables de raser une ville. Il faut savoir que la Russe dispose d’un grand nombre d’armes nucléaires dites « non stratégiques », qu’on appelle aussi « tactiques » et qui sont plus petites, moins létales et avec des capacités destructives moins terrifiantes que les bombes atomiques stratégiques. Ces armes sont par exemple beaucoup moins puissantes que celles utilisées par les USA en 1945 contre le japon.
Certaines bombes atomiques non stratégiques américaines sont jusqu’à 98 % moins puissantes que l’explosion qui a dévasté Hiroshima et Nagasaki. Selon des estimations assez médiatiques, la Russie disposerait de presque 2000 « mini-bombes nucléaires » de ce genre. Et c’est précisément leur faible puissance qui inquiète, car elle pourrait rendre envisageable leur utilisation par la Russie en première intention et pas uniquement dans un but défensif. Bien que ce type d’arme atomique n’entraîne pas les conséquences apocalyptiques des armes nucléaires plus classiques, leur utilisation risque néanmoins de briser un tabou et d’ouvrir la porte à l’inconnu en matière de stratégie militaire.
Quelles sont les chances que Poutine utilise des armes nucléaires tactiques ?
Depuis le début de la guerre Russie-Ukraine, les observateurs expliquent que Vladimir Poutine pourrait utiliser des armes nucléaires s’il devait se retrouver dos au mur devant une menace existentielle. Et maintenant que la Russie s’est retrouvée coincer par le mur de l’alliance Ukraine-Occident qui l’accule militairement et l’asphyxie économiquement, les risques d’un dérapage nucléaire n’a jamais été aussi élevée, ce qui explique la fébrilité des occidentaux. D’autant plus que Poutine vient tout juste d’annexer à la Russie plusieurs régions ukrainiennes, des régions qu’il ne contrôle pourtant que partiellement. Pire, ces régions, il les considère maintenant, après les avoir annexés, comme faisant partie légalement de la Russie. Les Ukrainiens qui sont en train de réussir la reconquête d’une bonne partie des territoires perdus sont donc théoriquement en train de rogner des territoires maintenant russes selon la conception du droit du Kremlin, ce qui pourrait « justifier » l’emploi de bombes nucléaires tactiques par la Russie.
Le Kremlin a donc une cause « légitime » pour employer des armes nucléaires ?
Légitime au regard du droit russe, peut-être. Mais encore faut-il que les armes nucléaires tactiques confèrent réellement un avantage sur un champ de bataille. À ce sujet, un responsable US a expliqué sous couvert d’anonymat au « nytimes », que le seul gain stratégique que pourrait remporter poutine en ayant recours à de telles armes seraient de rendre certaines parties des régions disputées « inhabitables ». L’US army, quant à elle, aurait réalisé depuis longtemps, toujours le « nytimes », que les petits engins nucléaires ne sont guère suffisamment « efficace » sur un champ de bataille pour justifier leurs emplois. Michael Vickers, un agent du pentagone chargé dans les années 1970 d’infiltrer l’Union Soviétique avec une bombe nucléaire « tactique » dans un sac à dos, a expliqué à ce sujet au « nytimes » que la Russie pourrait utiliser de telles bombes sur les endroits de « concentrations » de troupes ukrainiennes comme les casernes.
Il faut aussi rappeler que la détonation d’une arme nucléaire tactique produirait aussi d’importantes quantités de radiation qui risquerait en cas de vent venant du Sud ou du Sud ouest, d’emporter des éléments radioactifs toxiques vers la Russie et la Biélorusse.
Que risque la Russie en cas d’utilisation de bombe atomique ?
Le Monde entier risquerait de condamner cette fois la Russie. Les armes nucléaires sont un tabou et leur utilisation sur un champ de bataille dans un monde qui n’en manquent pas, risquent indéniablement de créer un très dangereux précédent. La Chine qui insiste sur sa doctrine de « non-recours en premier » aux armes nucléaires condamnerait probablement l’utilisation par la Russie d’engins atomiques. Toujours en cas de détonation d’engin nucléaire tactique sur un champ de bataille, l’inde et le Pakistan se retrouveront soudain dans un monde ou le tabou nucléaire serait brisé, ce qui ne risque pas d’améliorer leur sécurité nationale. D’autres pays comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, en passant par l’Arabie Saoudite et l’Iran, devront aussi faire face à un monde où les engins nucléaires tactiques seraient une réalité, ce qui risque d’être une incitation majeure au développement et à la prolifération de telles armes.
Les USA pourraient en réponse à une utilisation d’armes nucléaires tactiques déployer toutes les sanctions économiques de son arsenal. Dans une telle situation, l’US treasury pourrait interdire à tous les opérateurs économiques du monde de faire affaire avec la Russie tout en gelant le reste des 300 milliards de dollars de réserves russes que Washington n’a pas encore confisquées. Mais l’emploi de telles sanctions économiques pourrait littéralement débrancher l’économie de la Russie des chaines de valeur mondiale et la renvoyer ainsi à l’âge de pierre. Ce qui n’est franchement pas une perspective rassurante quand on sait que la Russie est une puissance atomique majeure.
En conclusion, on peut avancer qu’en cas de recours aux armes nucléaires, le monde ne manquera probablement pas de faire de Vladimir Poutine un « paria » de la politique internationale.
Les USA abandonneront ils l’Ukraine en cas d’emploi d’une bombe atomique par la Russie ?
Probablement pas. Même si certaines voix américaines assez influentes appellent à des négociations et dénoncent le court-termisme stratégique qui caractérise les deux belligérants, les USA ne peuvent plus se permettre de se « coucher » devant les menaces nucléaires de Poutine. En effet, pour les USA, c’est maintenant une affaire de crédibilité, car s’ils permettant à Poutine de s’en tirer en cas d’utilisation d’arme atomique, il suffira à l’avenir à n’importe quel État de faire éclater des engins nucléaires pour remporter un bras de fer diplomatique avec Washington, ce qui constituerait un sacré préjudice pour la diplomatie américaine. Les USA sont donc maintenant jusqu’au cou dans la guerre en Ukraine. Pas sur qu’ils gardent une tête si les événements continuent sur la dynamique actuelle.