Le contrôle du dollar assure aux États-Unis la capacité de confisquer près de 640 milliards de dollars de réserves russes.
Vous vous demandez surement si les sanctions économiques occidentales peuvent être vraiment dissuasives pour un pays de la taille de la Russie. L’économie de la Russie étant bien plus importante que celles de l’Iran ou du Venezuela, on peut très bien concevoir que les sanctions économiques des USA et de l’UE seraient alors moins efficaces. Sauf qu’en réalité elles sont tellement efficaces que le véritable enjeu pour les Occidentaux est de tempérer suffisamment l’audace de Poutine sans pour autant ravager l’économie de la Russie qui risquerait d’entrainer à son tour une escalade militaire dramatique aux conséquences mondiales.
Enhardis et inspirés par la résistance héroïque du peuple et du gouvernement ukrainien, les Occidentaux –après avoir longuement hésité- ont répondu à l’invasion de l’Ukraine par une deuxième salve de sanctions qui risquent cette fois-ci de mettre à genoux l’économie de la Russie. Depuis samedi, il a été annoncé que le système bancaire de la Russie sera soumis à une déconnexion partielle du système Swift, un service de messagerie interbancaire absolument nécessaire aux transactions internationales. Cela signifie que certaines banques russes seront renvoyées à l’époque d’avant l’existence des ordinateurs de bureau…la déconnexion du Swift subi par les banques russes comporte pour l’instant quelques exceptions pour le pétrole et le Gaz russe notamment, car 40% du gaz consommé par L’UE provient encore de Russie.
Mais la sanction la plus impressionnante vient des États-Unis et elle vise directement les énormes réserves de dollars de la banque centrale russes. Elles rappellent à la Russie une réalité bien amère : Les États-Unis disposent de la capacité de confisquer près de 640 milliards de dollars à la banque centrale russe !
Vous avez peut-être entendu parler du matelas de dollar, accumulé par la Russie au fil des années. Certains ont même cru y voir la prévoyance de Poutine qui aurait su épargner suffisamment de cash pour amortir et s’émanciper de l’impact des sanctions économiques occidentales…sauf qu’en réalité les 640 milliards de la banque centrale sont maintenant gelés sur ordre du département du trésor américain. Pour comprendre comment les États-Unis peuvent contrôler l’épargne de la banque centrale russe, il faut nous donner d’abord le temps de vous expliquer quelques détails à propos du fonctionnement des transactions internationales. Et croyez-nous, ça en vaut la peine surtout si vous voulez comprendre comment s’exerce la suprématie américaine sur le système financier international.
D’abord il faut savoir que dans le monde actuel, quand vous possédez de l’argent dans une banque, cet argent n’existe pas sous la forme de pièce de monnaies ou de billets de banque rangés dans un coffre spécialement pour vous, mais plutôt d’une écriture qui matérialise votre argent dans un registre informatisé. Dans le monde entier, on estime que 90% de la masse monétaire est sous la forme de monnaie dite scripturale. Concrètement, quand un individu ou organisation dépose de l’argent sur son compte en banque, il devient un créancier de la banque. Grâce à quelques clics, la banque consigne une dette en faveur de celui qui dépose son argent, une dette équivalente bien sûr au montant déposé.
Même chose pour les agents économiques russes. Quand une entreprise ou un individu russe dépose des roubles dans une banque ou quand il convertit des roubles en dollar il n’y a pas vraiment de pièces de monnaies et des billets de banque qui entrent en jeu, mais juste des écritures informatisées qui débitent et créditent des comptes. Ce système ne marche que si la population a confiance dans son système bancaire. Si toutes les entreprises privées opérant en Russie venaient par exemple à réclamer leurs dollars en même temps à leurs banques russes, le système ne tiendrait pas et les banques russes se retrouveraient alors dans une situation classique de faillite bancaire. Mais avant l’invasion de l’Ukraine, la confiance régnait et le système marchait très bien vu que la Russie ne disposait sur son territoire que de 12 milliards de dollars de Cash, bien que ses entreprises pouvaient en théorie à tout moment réclamer quelque 62 milliards de dollars qu’ils doivent aux banques russes.
Revenons maintenant aux 640 milliards de dollars de la banque centrale russes. Cette épargne n’existe pas physiquement sous la forme de billets de banque, mais plutôt sous la forme de notations et de jeux d’écriture sur les registres des banques centrales étrangères. Et pas de chance pour la Russie, ces banques centrales étrangères sont principalement les banques centrales américaines et européennes. Quand on dit que Poutine dispose de 640 milliards de dollars pour réduire l’impact des sanctions occidentales, cela signifie en réalité que Poutine a une créance de 640 milliards de dollars sur la banque américaine. C’est encore la même chose que de dire que la banque centrale américaine à une dette de 640 envers son homologue russe. Et le problème pour la Russie dans ce schéma, c’est qu’un débiteur peut très bien ne pas payer ! La Russie possède donc bel et bien 640 milliards de devises, mais elles ne les contrôlent pas totalement !
« Les 640 milliards de dollars de réserves russes sont dans des ordinateurs à New York »
Les actifs de la banque centrale russes ne sont littéralement qu’une dette des banques centrales américaines et européennes. Une dette que les Occidentaux peuvent très bien ne pas honorer s’ils sont prêts à en assumer les conséquences. Ça ne serait pas une première, les États-Unis ont par le passé déjà sanctionné l’Iran en gelant leurs actifs en devises en réponse à la prise d’otages de l’ambassade américaine après la révolution iranienne. Plus récemment ce sont les talibans qui ont expérimenté ce type de sanctions quand ils ont découvert qu’ils ne pouvaient pas avoir accès aux trois milliards de dollars de la banque centrale afghane malgré leur conquête de l’Afghanistan.
La Russie ne pourrait même pas compter sur ses réserves d’or évaluées à plus de 132 milliards de dollars. Pourquoi ? Parce que la plupart des acheteurs potentiels de cet or risquent d’être découragés par les sanctions et interdictions occidentales. Des pays comme la Corée du nord pourraient en théorie défier l’interdiction d’acheter américaine, mais le pays de Kim-Jong ne dispose bien sûr pas d’une telle somme. La chine pourrait acheter aussi en théorie l’or russe. Un train pourrait charger l’or pour le livrer à la chine. Mais au-delà du cauchemar logistique que constituerait une telle opération, la Russie ne peut être payée pour cet or qu’en renminbi pas en dollar…et ne pourrait pas non plus demander un prix bien raisonnable pour son or, car la chine étant le seul débouché pour cet Or, elle ne manquera de négocier un excellent prix au détriment de la Russie.
La maison blanche a déclaré récemment que « Alors que les forces russes attaquent Kiev et d’autres villes ukrainiennes, nous sommes déterminés à continuer à imposer un prix à la conduite de la Russie qui verra grandir son isolement du système financier international et de nos économies ». Joe Biden a déjà annoncé que des mesures viseront les réserves de la banque centrale, mais il n’a pas encore pour l’instant explicité leurs modalités d’application.
Les réserves de la Russie sont donc dans des ordinateurs à New York, London ou Francfort. Et si la Russie venait à être privée de cet argent, elle risquerait la faillite certaine. Incapable d’honorer ses obligations à l’international, elle serait privée d’acheter tout ce que les Russes importent comme aliments, vêtements, machine, médicaments…l’économie de la Russie s’effondrerait alors sur elle-même. Mais le pays de Vladimir Poutine étant une puissance militaire et surtout nucléaire majeure, les États-Unis vont probablement modérer leur démarche en choisissant d’asphyxier doucement la Russie plutôt que de l’étouffer brutalement, car la réponse russe peut dans ce dernier cas être bien trop féroce pour le monde. Pour l’instant les détails des sanctions qui visent les réserves russes ne sont pas encore clairs, mais les États-Unis pourraient choisir, par exemple, de verser une partie seulement de l’argent russe sous la forme d’allocations mensuelles. En somme, une sorte d’argent de poche pour que la Russie dépanne sa population et ne manque pas de satisfaire ses besoins basiques…comptant sur le contexte inflationniste et sur les divisions politiques des Occidentaux, Vladimir Poutine a tenté de renverser l’ordre mondial qui prévalait depuis la fin de la guerre froide. Mais son pari se heurte pour l’instant à la résistance ukrainienne, qui semble conférer un souffle nouveau à l’alliance des démocraties libérales.
Cet article date du 28 Mars 2022
Commentaires 1