Loin de l’image du scientifique sage et détaché des passions terrestres souvent retrouvée dans l’imaginaire populaire, la science est en réalité un véritable champ de bataille où l’obséquiosité des discours contraste avec les inimités qui travaillent les communautés scientifiques. De l’économie, en passant par l’histoire, la sociologie et même dans les sciences « dures » comme la physique et la chimie, les désaccords entre scientifiques entrainent souvent des disputes profondes qui feront avancer la science. Parfois, les problèmes de la science peuvent en effet être l’occasion de dépasser les rivalités et les divisions. Mais les rivalités narrées dans cet article sont définitivement parmi les moins productives de toute l’histoire des sciences.
Rivalités scientifiques : Vavilov vs Lyssenko, quand la pseudoscience anéantit la science
Les terres de la Russie et de L’Ukraine ont toujours été fertiles. Pourtant pour le régime communiste des soviétiques (Lénine, staline…etc), nourrir correctement la population fut un défi qu’il ne réussit presque jamais à relever. Dans ce contexte, l’agronomie, la science qui étudie l’agriculture et qui vise à augmenter les rendements des terres se retrouva vite au cœur de la politique soviétique. Ce mélange entre politique et agronomie déboucha sur une immense tragédie dont les acteurs principaux sont le botaniste Valivov et l’imposteur Lyssenko, le tout sur fond de dictature stalinienne.
En1931 la famine ravageait l’Union soviétique conduisant à des millions de morts et à des actes de cannibalisme. Le pouvoir de l’époque attendait de la science qu’elle propose des solutions. De ces attentes, deux hommes vont émerger : le botaniste Vavilov et l’agronome Lyssenko.
Née bourgeois avant que la Russie ne bascule dans le communisme, Nicolas Vavilov a fait de brillantes études de botaniste à l’institut agronome de Moscow. À 26 ans, il entame un tour du monde à la recherche des semences utilisées par les agriculteurs du monde entier. Il a rencontré les plus grands noms de la biologie et de la botanique de son époque. Il a appris l’anglais, le français et l’allemand. Vavilov rêvait de nourrir le monde entier grâce à la science. Au fil des expéditions qui l’emmènent aux quatre coins du monde (au Maroc notamment), Vavilov référence plusieurs dizaines de milliers de spécimens de semences qu’il entrepose à l’institut agronome de Petrograd. C’est l’une des collections de semences les plus impressionnantes du monde.
Vavilov ne le sait pas encore mais sa vie sera bouleversé à jamais quand le 7 aout 1927, le journal la Pravda publie le portrait d’un dénommé Trofim Lyssenko, jeune agronome de 23 ans qui travaille au sein de l’immense institut agronome que dirige alors Vavilov. Bien que le fond de l’article traite des expérimentations (assez intéressantes) de Lyssenko, c’est l’allure originale de ce dernier qui attire l’attention. Le Journaliste de la Pravda décrit un agronome qui va pied nu dans ses champs et le surnomme « le professeur au pied nu ». Le public soviétique découvre alors ce scientifique simple et d’origine modeste mais supposé brillant, loin des scientifiques sophistiqués perçus comme élitistes et détachés du « vrai peuple »…
Trofim Lyssenko est née en Ukraine dans une famille pauvre. Enfant, il participait à travailler avec son père dans les champs. Ce n’est qu’à 13 ans qu’il rentre à l’école pour apprendre à lire et à écrire. Puis il fréquente l’institut agronomique de Kiev pour devenir ingénieur agronome. Pour le régime soviétique, Lyssenko incarne parfaitement l’homme communiste rêvé. Grâce à l’article de la Pravda, Il devient célèbre en prétendant avoir inventé une technique découverte en réalité aux États-Unis en 1857 : la vernalisation. Il prétend aussi que sa technique peut tripler les rendements.
Lyssenko est pourtant objectivement un piètre scientifique. Passé les premières années de gloire, ces actions conduisirent à la mort de plusieurs millions d’arbres plantés selon une méthode complètement farfelue dont il est « l’inventeur ». Mais Lyssenko est doué pour les manigances politiques. Il se fait remarquer par Staline, en se présentant comme un fils du peuple en croisade contre la science bourgeoise de Vavilov et de l’Occident.
Un rapport des services secrets soviétiques, parvenu à Staline, décrit Vavilov comme un opposant du régime soviétique. En privée, Vavilov critiquait en effet le régime des soviets… Entre-temps, Lyssenko, se radicalise, il dénonce la génétique comme une science bourgeoise, il fustige Vavilov comme un ennemi des prolétaires et rappel que même la science doit se plier à l’idéal communiste. Pour Lyssenko, les chromosomes et les gênes n’existent pas, ils ne sont qu’une chimère bourgeoise. Face à la génétique, il défend la science prolétarienne. Vavilov est directement visé dans un régime totalitaire vouant un culte à la figure du prolétaire et dans lequel il est fiché comme « opposant » par la police politique. Lyssenko milite pour que la génétique en tant que science, soit réduite à la figure du bourgeois élitiste que le régime soviétique agitait pour expliquer ses campagnes violentes d’épuration de la scène politique de toute voix dissonante.
À la démagogie populaire de Lyssenko, Vavilov répliquera en homme de science « je pense que l’édifice de la génétique demeure inébranlable, parce qu’il est étayé par une grande quantité d’expérimentation précise. Refusé la génétique ne serait possible qu’on lui opposant une quantité d’expérimentation tout aussi précise. En leurs absences, la génétique demeure. Nous irons au bûcher et nous serons brûlés vifs, mais nous ne renierons pas nos convictions ».
Tous ceux qui ont pris position contre la théorie de la science prolétarienne de Lyssenko seront emprisonnés ou exécutés. Quant à Nicolas Vavilov, l’homme qui voulait nourrir l’humanité, il mourut de faim dans une prison soviétique en 1943. Entretemps Lyssenko, le pseudoscientifique à l’origine de la « science prolétarienne » était devenu une superstar en URSS accumulant distinctions et titres, récompensé huit fois de l’ordre de Lénine, il est nommé conseiller auprès du « soviet suprême » et directeur de l’institut génétique de l’académie des sciences de L’URSS. Il est aussi distingué comme héros du travail socialiste en juin 1945.
Rivalité scientifiques : Le sinistre Owen contre le candide Mantell
Jusqu’au dix-neuvième siècle, le monde entier ignorait tout des dinosaures. Nombre de scientifiques de renom passèrent à côté de l’occasion d’être le « premier » à découvrir les dinosaures, surtout que leurs os fossilisés commençaient à surgir un peu partout à travers le monde. En 1787 un énorme fémur n’appartenant à aucune espèce encore vivante fut découvert dans le New Jersey. L’os fut envoyé au « premier anatomiste du pays », le professeur Caspar Wistar. Le professeur, au lieu de saisir l’occasion de rentrer dans l’histoire en tant que premier « découvreur » des dinosaures, se contentera de remarques banalisant l’Os en question et suggérant que l’énorme Fémur ne mérite pas l’attention de la science. L’Os sera déposé dans une réserve où il disparut.
Si les fossiles s’accumulaient, peu de personnes osaient proposer l’idée que ces fossiles appartenaient à une espèce « éteinte » car on ne pouvait imaginer que Dieu puisse exterminer ses propres créatures. L’église s’accrochait encore à une interprétation littérale des textes sacrés, et ceux-ci ne mentionnaient guère d’extinction de masse. Une trentaine d’années plus tard, aux premières décennies du dix-neuvième siècle, en Angleterre les temps changeaient. La paléontologie était devenue plus à « la mode ». Surtout après la découverte de Mary aning qui, pauvre et âgée de 12 ans, découvre un squelette presque complet de ce qu’on appelle maintenant un « Ichthyosaurus ».Mais la découverte d’un dinosaure complet ne suffit pas à convaincre grand monde de leurs existences. On préférait supposer que les squelettes étranges trouvés dans le sol appartenaient à des espèces vivantes encore inconnues ou habitants dans une partie inexplorée de la Terre que de remettre en question les supposés enseignements de Dieu.
En 1822, Gideon Mantell était médecin. Mais c’était aussi un paléontologue passionné. Sa plus importante découverte, il la doit en partie à sa femme, qui découvrit un fossile lors d’une promenade et décida de l’emporter à l’attention de son mari qu’elle savait passionné de fossiles. Mantell remarqua aussitôt qu’il s’agissait d’une dent provenant d’un reptile herbivore long de plusieurs mètres. Personne n’avait imaginé une telle créature avant et Mantell avait raison sur tout. N’étant pas géologue ou anatomiste, il se montra prudent et contacta un dénommé William Buckland. Ce dernier, un respectable révérend aussi brillant qu’excentrique (il se vantait d’avoir mangé toutes les espèces vivantes ) conseilla à Mantell la patience et la prudence. Mantell mettra donc trois ans à préparer son article qu’il comptait soumettre à la Royal Society. Mais entre temps, William Buckland qui avait conseillait à Mantell de prendre son temps dans la rédaction de son article, publia un article sur une énorme créature éteinte, le « mégalausore ». William Buckland venait de court-circuiter Mantell en devenant le premier à décrire un « dinosaure » dans un article scientifique formel. Ce fut donc Buckland, et non le plus méritoire Mantell, qui recueillit tous les honneurs pour cette découverte. Depuis la providence n’allait cesser de s’acharner sur le pauvre Mantell.
Incapable de concilier sa pratique de la médecine et sa passion pour la paléontologie, Mantell se ruine dans des entreprises hasardeuses. Il avait transformé son domicile qui était aussi son cabinet médical en musée ! Trop généreux, il laissait les gens visiter sa maison-musée gratuitement, ce qui à l’époque n’était pas pour plaire à sa femme qui décida un jour de le quitter (ce qui était extrêmement rare à l’époque) en emmenant leurs quatre enfants. Mais son occasion ratée de rentrer dans l’histoire comme découvreur des dinosaures et ses déboires financiers et familiaux n’étaient rien comparé à ce qu’il allait devoir subir à cause de sa rivalité avec un autre scientifique : Richard Owen
Richard Owen était indéniablement un brillant scientifique, il fut le premier à proposer le terme « dinosaures » pour décrire ce qu’il a pressenti -à raison- comme étant une nouvelle espèce de vertébrés qu’il baptisa « lézard terrible » qui signifie en latin dinosaures. Richard Owen était aussi l’une des personnes les plus exécrables de son temps. Il était une vraie hyène, c’était un intrigant habile et sans scrupules qui n’hésitait pas à s’attribuer les découvertes des autres. On disait de lui que c’était la seule personne que Darwin haïssait. Et pas de chance pour Mantell, Owen allait consacrer une bonne partie de son énergie à le persécuter.
Pour comprendre pourquoi Richard Owen avait décidé de compliquer la vie à Mantell, il faut remonter à l’énorme dent découverte par Mantell et sa femme et qui avait fait sa renommée en l’attribuant à une créature inimaginable jusque là et qu’il avait nommé : « iguanodon ». Avant la publication de son article sur la gigantesque créature, Gideon Mantell avait consulté des « spécialistes » de l’époque. Des savants disposants de titre institutionnel et bien introduit formant « l’establishment » de l’époque tel que richard Owen qui répondra alors à « l’amateur » Mantell que sa dent n’appartenait probablement qu’à un mammifère proche du rhinocéros. Rien de nouveau donc. Mais Mantell continua à travailler jusqu’à prouver le contraire et sa découverte sera ensuite valider par la communauté scientifique de l’époque. Gideon Mantell, un paléontologue amateur, venait donc de découvrir une gigantesque créature et richard Owen, la star de la paléontologie s’était complètement fourvoyée en attribuant la dent à un type de rhinocéros. Depuis, Richard Owen influent scientifique, proche de la monarchie et cumulant plusieurs fonctions institutionnelles s’attellera à transformer la vie de Gideon Mantell en enfer.
Après avoir perdu sa femme, ses enfants, sa clientèle, Mantell eut un accident quand il fut pris dans les rênes et traîné au galop par les chevaux emballés. L’aventure le laissa boiteux, avec des blessures à la colonne vertébrale qui seront source de douleurs chroniques pour le reste de ses jours. Pendant ce temps, Richard Owen continuera son ascension sociale en s’attribuant les découvertes de nombre scientifiques tout en usant de ses entrées auprès des instances académiques et de sa proximité avec la couronne d’Angleterre pour expurger les articles scientifiques de toutes contributions de Mantell. Incroyablement désintéressé et malgré toutes les offenses que Owen lui fait subir, Mantell tentera d’adoucir son persécuteur en lui envoyant des Os découverts par son fils en nouvelle Zélande dans l’optique qu’ils trouvent dans la collaboration scientifique une occasion de faire la paix. Bien sûr Owen, guère touché, continua de démanteler méthodiquement l’héritage de Mantell.
En 1852, Mantell se suicida ou mourut d’une overdose d’opium selon les versions. Comble de l’ironie, sa colonne vertébrale déformée fut envoyée au Collège royal de chirurgie où, elle atterrit chez…Richard Owen ! Directeur du musée de l’université, Richard Owen fit prélever le segment difforme de la colonne vertébrale de Mantell pour l’exposer à ses étudiants.
Peu après la mort de Mantell, une notice nécrologique parue dans la Literary Gazette. Mantell y était qualifié d’anatomiste médiocre dont les modestes contributions à la paléontologie étaient limitées par « un défaut de connaissances ». La notice attribuait bien sûr la découverte de l’Ignuanodo à Richard Owen. Personne ne douta qu’il était l’auteur de la nécrologie.
Richard Owen est indubitablement le méchant de l’histoire. Sinistre et rancunier, il s’était attelé avec une malveillance rare à démolir autant la personne que les contributions scientifiques du pauvre Mantell. Mais bizarrement des deux, c’est Richard Owen qui laissa un héritage aux générations futures d’une noblesse franchement étonnante quand on sait à quel point le personnage était antipathique. Avant lui les musées étaient réservés exclusivement aux élites scientifiques. Ils devaient n’être que des instituts de recherche à l’abri du public. Devenu directeur du Muséum d’histoire naturelle de Londres, il milita activement pour que les musées deviennent des endroits accessibles au public, encourageant les classes populaires à venir visiter le musée. Il eut même l’idée de placer une notice informative sur chaque objet exposé, pour introduire les néophytes aux objets exposés. Si les musées sont ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est-à-dire des endroits accessibles au public, c’est principalement grâce à l’altruisme de l’horrible Richard Owen.
Rivalités scientifiques : Edward Drinker Cope et Othniel Charles Marsh
La rivalité entre le paléontologue Cope et Marsh est probablement l’une des plus productives de l’histoire de la science. Avant de devenir rivaux, Cope et Marsh étaient de grands amis. Ils collaborèrent d’abord, s’admirant et baptisant leurs fossiles mutuellement. Leurs querelles commencent lorsque Cope invita Marsh à venir voir un Plésiosaure qu’il venait tout juste de reconstituer. Alors qu’il s’attendait probablement à susciter l’admiration de Marsh, ce dernier humiliera Cope en remarquant que la tête du squelette a été placée au bout de la queue. Piqué au vif, personne ne sait exactement ce qui s’est passé après, mais les deux hommes allaient se vouer une haine farouche pendant les trente années à venir. Cette confrontation porte même le nom de « guerre des os ».
Marsh était une sorte de « Geek » qui préférait les recherches en laboratoire aux fouilles sur le Terrain. Son oncle, un riche financier, lui avait fait construire tout un musée en plus de lui garantir de quoi financer de longues années de recherche. Cope aussi était privilégiée, mais moins réservé que Marsh et plutôt du genre casse-cou. Une fois alors qu’il fouillait des terres sacrées indiennes, il se retrouva nez à nez avec des Indiens encore en plein conflit avec ce qu’ils considéraient comme les colons américains. Il réussit à s’en sortir en ôtant et remettant plusieurs fois son dentier.
Cope et Marsh s’insultaient par voie de presse et ridiculisaient automatiquement les découvertes de l’autre. Quand ils se croisaient sur un terrain de fouille, ils en arrivaient à se jeter des pierres entre équipes de chercheurs. Fraude, mensonges, manipulation, ils ne reculèrent devant rien pour se compliquer mutuellement la vie. L’animosité entre les deux hommes s’est révélée en grande partie bénéfique pour la paléontologie en tant que science. En compétition, ils avaient révélé au monde plus de 125 espèces de dinosaures. Dans leurs hâtes, ils avaient causé quelques préjudices à la science en détruisant des fossiles à peine découverts ou en semant le désordre dans la classification des espèces de dinosaures, mais leurs apports restent généralement célébrés.
La guerre des os ne prit fin que lorsque Cope mourut en 1897 et Marsh deux ans plus tard.