Pendant plus de deux siècles, le thé et le café furent l’objet de violente polémique entre une partie des théologiens du monde musulman. Certains théologiens ont ainsi consacré beaucoup d’énergies à débusquer le vice jusqu’au dans nos tasses de thé et de café. De notre côté on ne peut que constater (avec soulagement) que leurs efforts furent bien vains.
Le thé n’a pas toujours fait partie du quotidien du marocain. Il y a quelques siècles, le thé était une boisson réservée à l’aristocratie de la cour du Sultan, aux ambassadeurs étrangers et aux invités VIP… Ce n’est qu’à partir de 1830, que le thé s’est petit à petit généralisé à l’ensemble du territoire marocain. Selon l’historienne Noufissa Kessar, le thé aurait été introduit au Maroc à la cour de Moulay Ismail à qui il aurait été offert en cadeau « pour adoucir le cœur de l’empereur qui détenait soixante-neuf prisonniers de guerre anglais ».
«se mélanger avec des esclaves et des jeunes, à entendre des discours obscènes et à médire sur les gens».
Mais si le « Makhzen » de l’époque appréciait bien le thé, ce n’est pas le cas des oulémas qui n’étaient guère sensibles à cette nouvelle mode. Ainsi le juge « Fqih Ahmed Ibn Abdelmalek Alaoui » refusait les témoignages devant sa cour de ceux ayant consommé du thé. Un autre Fqih du nom de Ahmed Hamed Ben M’hamed ben mukhtar allah, voyait dans le thé un moyen de succomber au désir et de suivre le chemin du diable. Ce même Cheikh affirmait même que le thé conduisait certaines personnes à «se mélanger avec des esclaves et des jeunes, à entendre des discours obscènes et à médire sur les gens».
Le café n’était lui aussi pas la boisson favorite des bigots de l’époque. Le sultan ottoman Mourad IV a carrément criminalisé la consommation de café. Accusés d’encourager la décadence et la désunion, les transgresseurs étaient punis de mort. Zélé, le sultan se déguisait et patrouiller discrètement les rues d’Istanbul à la recherche de buveurs de café. Selon certaines sources, le sultan décapitait alors lui même les contrevenants pris en flagrant délit avec un glaive de 45 kilo…

Le principal argument religieux des anti cafés était que la boisson ne figurait pas dans le coran ! Trop « nouveau » donc. Pendant deux siècles, les interdictions ne furent pas toujours aussi implacables que sous Morad VI, ce qui permit le développement rapide du bar à café. Et ces derniers n’arrangèrent en rien les suspicions que nourrissaient les autorités de l’époque à l’égard du café comme boisson. Les tavernes à café rassemblaient des gens pour discuter de culture de la ville, d’actualités et de…politique ! Et ces rassemblements « non-autorisés » ne plaisaient guère aux autorités ottomanes qui craignaient que ces nouveaux espaces sociaux n’abritent ou n’encouragent les réunions de dissidents.
Au Maroc aussi, le café suscitait le rejet. Mohamed taleb Ben Hajj, juge à marrakech au XVII siécle appelait solennellement les bons musulmans « d’éviter tout rassemblement où le café était proposé ».
Ces interdictions farfelues ne sont pas propres au monde musulman. D’ailleurs le monde chrétien ne découvrit vraiment le café que grâce à ces ambassadeurs en empire ottoman ! En effet, les chrétiens du XVI siècle considéraient le café comme une boisson du diable qu’ils associaient au monde musulman. Et quand le pape clément décida de trancher définitivement en faveur du café en déclarant :
« – L’arôme du café est une chose bien trop agréable pour être l’œuvre du Malin. Il serait dommage que les musulmans en aient l’exclusivité. »
Les musulmans ne décidèrent définitivement que le café n’était pas l’œuvre de Satan que deux siècles plus tard…