La recherche a permis des avancées extraordinaires sur la biologie de la dépression. Aujourd’hui, grâce à la recherche, on sait qu’il y’a au moins trois neurotransmetteurs impliqués (sérotonine, dopamine, norépinephrine), on sait aussi que la science permet de désigner une zone spécifique du cerveau qui dysfonctionne et impacte négativement les autres zones du cerveau dans les cas de dépression (le cortex cérébral). Et pour ceux qui doutent encore que la dépression a des ressorts biologiques, ils peuvent méditer sur cette statistique : 20% des personnes souffrant de dépression majeure souffriraient en réalité d’un trouble de la thyroïde, ce qui signifie qu’une anomalie du niveau d’une hormone peut précipiter une personne dans la dépression. Mais après un demi-siècle de recherche scientifique, des milliards de dollars engloutis par les entreprises pharmaceutiques, des millions de prescriptions, des milliers de publications scientifiques, on a au moins acquis une certitude concernant la prise en charge médicale de la dépression : les antidépresseurs de toutes les générations ne font pas mieux que l’effet placebo. Cela signifie que le Zoloft, Prozac et autres pilules au nom sophistiqué sont tout aussi efficaces –parfois moins- que des pilules inerte à base de sel et de sucre.
L’effet placebo, c’est quoi ?
L’effet placebo désigne le phénomène par lequel des personnes souffrantes voient leurs états s’améliorer avec des médicaments pourtant factices. La drôle de concurrence entre les pilules inactives à base de sucre et les antidépresseurs trouve son origine dans le design des études destiné à valider ou pas les vertus de ses derniers. Ainsi, pour jauger de l’effet thérapeutique des antidépresseurs (ou de presque n’importe quels autres médicaments), les scientifiques divisent une « population statistique » de personnes en deux groupes de malades : ceux qui vont recevoir des pilules contenant réellement la substance active, et les autres qui recevront eux, des pilules ne contenant rien de spécial. Et dans le cas où des personnes guérissent vraiment alors qu’ils ont reçu la pilule bidon (ou le morceau de sucre si vous préférez) on met cette guérison sur le compte de l’effet placebo. Dans ce cas, c’est la confiance du malade dans le potentiel thérapeutiques des médicaments qui font que des personnes guérissent de vrais maux mais avec de faux médicaments.
Morceaux de sucre vs antidépresseurs !
Si l’effet placebo est loin d’être anodin, Il est en plus sujet à des controverses. Certains scientifiques veulent en faire un mythe, une vulgaire émanation de l’industrie frauduleuse du développement personnel où l’on fantasme beaucoup trop sur les interactions corps-esprit . Mais bien que l’effet placebo souffre d’une mauvaise image et qu’il se retrouve parfois rejeté comme un marqueur des pseudos-science, ses effets continuent d’être réels et bien tangibles. Dans le cas de la dépression, l’effet placebo réussira malgré une réputation sulfureuse –mais non mérité- à nuancer l’efficacité de toutes les générations d’antidépresseurs. En effet, des études ont montré que la plupart des antidépresseurs ne soignaient pas plus la dépression que l’effet placebo. Même s’ils ont longtemps été considérés comme des superstars de la psychiatrie, au fil des études, les antidépresseurs sont petit à petit devenus une sorte de parias, face aux plus prosaïques des concurrents : le morceau de sucre. Ils arrivent que les pilules inerte à base de sucre guérissent la dépression tellement bien qu’il n’est pas possible de distinguée, sur la base du niveau initial puis final de leurs dépressions, entre les patients traités par un morceau de sucre de ceux traités avec un antidépresseur ! Ironiquement, l’effet placebo bénéficie aussi du fait que les antidépresseurs deviennent de plus en plus « mainstream ». « La réduction de la stigmatisation des malades de dépression, la normalisation des antidépresseurs et le marketing des entreprises pharmaceutiques font que l’effet placebo est plus puissant en 1981 que dans les années 2000 » observe Timothy Warsh, un psychiatre de l’université de Columbia pour « thewashingtonpost » Il est aussi intéressant de noter que l’état de certains patients s’est vite détérioré après que les chercheurs leur ont révélé qu’ils avaient reçu des pilules factices au lieu de « vrai » médicaments.
Science contre science !
Mais quel est vraiment l’état du consensus scientifique sur la question ? Bien que l’obséquiosité soit souvent de mise, les débats scientifiques sur la question peuvent être très violents. Les scientifiques se sont mutuellement accusés de fraude massive ou encore d’être à la solde des groupes pharmaceutiques. Serions-nous donc face à un authentique complot de l’industrie pharmaceutique pour promouvoir et vendre des milliards de dollars d’antidépresseur ? Bien que cela ne soit pas encore tranché, il semblerait pourtant que la réalité soit ,hélas, à peine plus nuancée.
Pour répondre une fois pour toutes à cette question qui a longtemps empoisonné la communauté scientifique, une étude de grande envergure est parue dans TheLancet sous la forme d’une méta-analyse (une sorte d’analyse statistique sur un grand nombre d’études parues à ce jour sur le sujet). Après avoir examiné plus de 522 essais qui ont inclus plus de 116 000 participants, les scientifiques ont (enfin !) déterminé que les antidépresseurs étaient plus efficaces que l’effet placebo bien que la différence se révéla être très modeste. Les antidépresseurs soignent donc un peu mieux la dépression que les morceaux de sucre. Hallelujah ?! Pas vraiment, il y’avait quand même quelques petits problèmes avec l’étude en question. Le premier c’est que la grande majorité des études analysées ont été financées par des entreprises pharmaceutiques. Le deuxième, plus étrange, c’est que les antidépresseurs analysés souffraient du biais de « la nouveauté ». Cela signifie que les antidépresseurs étaient jugés comme étant les plus efficaces pendant leurs premières années sur le marché. Puis au fil des ans, les antidépresseurs semblaient perdre de plus en plus en efficacité. Cet effet souligne l’ampleur de l’effet placebo en matière de dépression, car il devenait clair que plus un médicament était perçu comme « nouveau » plus son efficacité augmentée. La perception qu’avaient les patients sur le médicament –s’il était nouveau ou ancien – influait donc directement sur l’efficacité des desdits médicaments…
L’efficacité des antidépresseurs : un mythe ?
Les entreprises pharmaceutiques auraient-elles exagéré le bénéfice clinique des antidépresseurs ? Le très sérieux Irving Kirsch, ancien professeur de l’université de Harvard a écrit un livre pour le démontrer, « the emperor’s new drugs : exploding the antidepressant myth ». Irving Krisch n’y va pas par quatre chemins, les antidépresseurs sont pour lui un mythe entretenu uniquement par l’avidité de l’industrie pharmaceutique. Il leur reproche d’être prescrits en excès par les docteurs ou encore d’être l’avatar d’une culture du bonheur molle et pathétique. Si cette perspective vous semble tirée par les cheveux, il suffit de jeter un coup d’œil au scandale du Mediator, de l’antiépileptique bidon du laboratoire Warner-Lambert, ou encore au nombre de plaintes que collectionne le groupe Bayer….
Rappelons qu’il n’est bien sûr pas question de participer aux idées des « anti-médicaments » primaires qui vantent l’idée très simpliste (et stupide) du tout naturel contre le tout chimique. Des idées qui que l’on retrouve dans des discours peu scientifiques de certains gourous particulièrement médiatiques qui s’appuient implicitement sur un raisonnement fallacieux reposant sur l’opposition entre remèdes naturels et médicaments chimiques dangereux, car synthétique…sauf que les antidépresseurs sont loin de reposé sur une science exacte, objective et détachée de toutes considérations commerciales. Cet état de fait pose des interrogations légitimes surtout au regard du nombre toujours croissant des prescriptions d’antidépresseur à travers le monde. S’il est maintenant possible grâce aux vaccins ou la pilule pfizer et merck- de soigner ou de prévenir la covid-19, il faudrait peut-être rappeler que l’on ne peut toujours pas traiter efficacement une autre manifestation de la pandémie: Les problèmes de santé mentale qui ont émergé à la suite du bouleversement des modes de vie de millions de personnes à travers la planète.
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