Si Uber a quitté le Maroc sous la pression des chauffeurs de taxi (mais a depuis racheté careem Maroc), l’ubérisation au Maroc continue elle, à faire son chemin sans que personne ne s’en offusque. Comment ? Principalement grâce à deux entreprises : Glovo et Jumia Food. Des officiels comme le ministre de l’Industrie Ryad Mezzour et l’agence NARSA soutiennent même publiquement ces entreprises à travers des conventions visant la création, de pas moins de 10 000 emplois. Pourtant, quiconque connait un minimum le business modèle de ces entreprises sait que leurs définitions d’un emploi est plus que douteuse.
Ryad Mezzour l’ignorait peut-être, mais il venait de signer un pacte avec le diable. En choisissant de s’afficher avec Glovo, le ministre a succombé au techno-optimisme ambiant et surtout niais, qui n’arrive pas (encore ?!) à voir que toute entreprise au fonctionnement technologique n’est pas forcément une bénédiction pour le tissu économique et social. Dans le cas des plateformes d’intermédiations telles que Glovo, on sait depuis longtemps qu’elles sont coupables d’une tentative du démantèlement sans précédent des acquis sociaux du droit du travail, de biaiser la concurrence et de s’ériger en puissant monopole invincible et absolu. Précarisation en masse, hyperexploitation de « micro-entrepreneurs », promotion d’activités aliénante…les griefs retenus contre ces plateformes d’intermédiations nouvelles sont nombreux et il semblerait qu’aucun ne soit parvenue à notre ministre de l’industrie.
Uberisation au Maroc : le côté obscur du digital
Glovo (comme Jumia, yassir…etc) est une plateforme technologique qui offre des services d’intermédiation logistique entre des livreurs, des restaurants et des consommateurs. Elle semble de prime à bord inoffensive. Sauf que depuis Uber, on sait maintenant que ce type d’entreprise s’appuie sur une énorme imposture : Jamais aucun des « travailleurs indépendants» qui forment l’essentiel de la force de travail de ces plateformes, ne se retrouvera avec un statut de salarié. Jamais ces plateformes ne financeront le moindre avantage social pour leurs travailleurs. Ce type d’entreprise préfère investir massivement dans le lobbying et dans les avocats du contentieux que de financer le moindre centime en couverture sociale pour leur livreur/chauffeur. Partout à travers le monde, ces plateformes tentent de détricoter des acquis sociaux élémentaires tels que le SMIG, la couverture maladie, les congés… Dans nombre de pays, des chercheurs dénoncent ces entreprises comme une forme cauchemardesque du néo-libéralisme. Nombre de cour de justice à travers le monde ont refusé le laissez-faire face aux plateformes numériques. Nombre de gouvernements combattent et proposent des alternatives face au développement de ce type de plateformes. Sauf au Maroc, où l’aveuglement face à leurs dangers reste encore de mise comme en témoigne la bienveillance naïve du ministre à l’égard de Glovo et de Jumia.
Derrière le vernis de l’innovation, du digital et de la création d’emploi, se cache en vérité une grande entreprise d’externalisation qui a réussi un vieux rêve du capital : la capacité de disposer et de subordonner des travailleurs sans aucune responsabilité sociale envers ces mêmes travailleurs… Grâce à ce tour de passe-passe, les plateformes technologiques réussissent à s’émanciper en plein jour des contraintes du droit du travail, du salariat et du syndicalisme. Bref, elles essayent d’anéantir tranquillement plusieurs siècles de lutte pour la dignité des travailleurs sans que les médias, les chercheurs, les syndicats -censés défendre les travailleurs ou les politiques ne trouvent rien à redire.
Ubérisation au Maroc : De futures monopoles en perspective !
Si les méfaits des plateformes technologiques sur leurs travailleurs sont clairs, d’autres sont plus subtils comme leurs tendances monopolistiques prouvées. En effet, ces plateformes représentent selon plusieurs chercheurs un danger pour les lois du marché et de la concurrence à causes de leurs tendance à se transformer rapidement en monopole. Pour comprendre pourquoi ces entreprises parviennent à s’ériger rapidement en puissant monopole, il faut d’abord comprendre ce que sont les effets de réseaux et leurs importances pour ce type de plateforme.
Les effets de réseaux sont une caractéristique d’un type de biens particulier dont la valeur augmente avec l’augmentation du nombre de clients ou d’utilisateurs du dit bien. Le téléphone est un cas célèbre de ce type de bien, car un téléphone n’a de valeur que si un maximum de personne en dispose aussi (si vous êtes le seul à disposer d’un téléphone, ça vous fait une belle jambe !). Dans le cas des plateformes numériques, plus une plateforme référence de restaurants et compte d’utilisateurs et de livreurs, plus elle bénéficie d’effet de réseaux. Le problème, c’est qu’il est maintenant prouvé que les effets de réseaux contribuent à la création de puissants monopoles en conférant à un système/organisation un avantage impossible à rattraper par ces rivaux, le plaçant ainsi en situation de position dominante abusive. C’est d’ailleurs pour cette raison que les plateformes héritière d’Uber, préfèrent opérer à perte en investissant massivement en publicité et en marketing plutôt que de dégager des profits. C’est une stratégie délibérée qui consiste à considérer que les effets de réseaux sont bien plus importants que les profits, car atteindre une masse critique d’utilisateurs et de microentrepreneurs permet à ces plateformes de se placer en une confortable situation monopolistique. Situation qu’ils ne manqueront pas d’exploiter à l’avenir en ponctionnant plus les revenus des restaurants qui leurs sont affiliés, en écrasant les commissions de leurs livreurs ou bien en augmentant les tarifs de leurs services …
L’alternative à l’ubérisation au Maroc : la piste coopérative
Reste l’espoir de la piste coopérative ou associative qui reste pour l’instant la seule alternative aux plateformes d’intermédiation technologiques. Un rapport commandé par le gouvernement francais stipulait déjà en 2020 que la piste coopérative était une solution immédiatement mobilisable face à la précarisation en masse des travailleurs des plateformes tels que Uber ou Glovo. Face à l’ubérisation au Maroc, l’État pourrait favoriser l’émergence de champions nationaux en interdisant les plateformes antisociales et en soutenant par exemple la création et le développement de coopératives de livreurs.
Glovo et Jumia sont des entreprises étrangères absolument inutiles à l’économie nationale. En plus de vampiriser le travail de la jeunesse, glovo et jumia sont des entreprises de droit international qui risquent de devenir des monopoles empêchant l’éclosion de champion national de l’économie des plateformes de transport. Mais elles ne sont pas une fatalité. La recherche a largement démontré qu’il est très facile de cloner la technologie derrière glovo et jumia. Ces dernières ne sont pas des « startup » maitrisant des technologies ésotériques, mais des organisations simplistes et opportunistes qui incarnent la forme la plus débridée du capitalisme. Leurs simples existences les placent en opposition avec l’intérêt général (qui est celui des travailleurs de ces plateformes !).
Si il y’a du bon dans le volontarisme du ministère de chercher à s’adapter aux bouleversements numérique de nos modes de vie, Il est aussi nécessaire de nuancer certaines mutations clairement néfastes et contreproductive pour le tissu social. Dans le cas de l’économie des plateformes de type Uber, l’alternative coopérative est à même de relever les défis de ce type particulier d’économie. Il suffit juste de l’envisager…