Valentin Gonzalez n’a que 16 ans quand on lui colle le surnom de « El Campesino » qui signifie le paysan en Espagnol. Il hérite de ce pseudo quand il fait exploser à l’aide d’une bombe un commissariat de police en soutien à une grève générale de paysans réprimée dans le sang par la garde civile. Il écrira dans son livre « La vie et la mort en U.R.S.S » qu’il ne déshonora jamais ce pseudo.
Violent, impétueux, sectaire, fougueux et méprisant toute forme de diplomatie, el Campesino est définitivement un personnage clivant. Critiqué pour sa brutalité, Il demeura cependant toute sa vie durant un guerrier honorable qui concilia toujours ses positions de principe avec son engagement militant. El Campesino était donc une sorte de Che Guevara espagnol, le martyr en moins, la brutalité et la hargne en plus. Et comme le révolutionnaire cubain, c’était un communiste passionné et sincère qui croyait en la violence armée.
Après son premier attentat terroriste, il se retrouva pendant sa cavale incorporé dans l’armée espagnole qui combattait les résistants marocains de Abdel-Krim El Khattabi. L’éternel libertaire réussit à attirer l’attention d’un Sergeant qui eut la mauvaise idée de le faire sortir des rangs pour le gifler gratuitement devant ses camarades. El Campesino ne lui pardonnera pas cette humiliation et profita d’une escarmouche avec les résistants marocains pour se venger et tuer le sergeant tyrannique.
Après avoir réglé son compte à son sergent, il se décide en protestation contre des distributions de rations alimentaires qu’il juge trop frugales, à détruire le stock de nourriture de toute son unité de Larache ce qui lui vaudra d’être envoyé devant une cour militaire. C’est durant ses déboires judiciaires qu’il reçoit le soutien inattendu de celui qui deviendra son mentor, un dénommé Joseito et qui l’initiera au communisme. Alors qu’il s’attendait à recevoir une peine de six ans dans une prison militaire, il n’écope que d’une année de détention grâce à l’intervention de Joseito qui contacta un avocat « libéral » qui le défendit avec succès.
Sous l’influence de Joseito, El Campesino l’anarchiste se morphe en communiste exalté. Joseito explique aussi à El Campesino que la guerre des espagnoles au Maroc est injuste et que c’est les maures (marocains) qui sont dans leur droit de défendre leurs terres contre l’envahisseur ibérique. Cela suffit à El Campesino pour rejoindre le rang des résistants de Abdelkrim El-Khattabi et pour trahir son drapeau espagnole
Après son séjour en prison, il est enrôlé de nouveau dans l’armée et débarque dans la légion étrangère espagnole à Al Hoceima. Convaincu de la justesse et de la légitimité du combat de ce qu’il appelle « les maures », El Campesino prend contact avec deux résistants marocains et commence à leurs fournir des armes et des munitions appartenant à l’armée espagnole. Mais son double jeu est rapidement repéré par les renseignements espagnols. Prévenu par un militaire communiste, il déserte pour éviter une arrestation pour trahison et rejoint les rangs des résistants marocains.
Arrivé dans les montagnes du Riff, il est arrêté par des « maures » qui l’ont pris pour un espion. Il écrira des années plus tard dans ses mémoires que « c’est un miracle que les maures ne m’aient pas abattu à vue ». Pour prouver sa sincérité il invoque sa collaboration avec les deux résistants marocains pendant qu’il était dans l’armée espagnole. Il écrira plus tard à propos de cette rencontre que les Marocains qui le capturèrent vont alors le « trainer pendant dix sept jours à travers leur territoire en essayant de trouver les deux résistants maures qui pouvaient corroborer mon histoire ». Chanceux, il finit par tomber, lui et ses surveillants, sur les résistants marocains qu’il fournissait discrètement en armes et munitions espagnoles. Accepté par les résistants marocains, le déserteur espagnol s’immerge ensuite parmi les berbères qui lui donnent des armes, un cheval et des vêtements locaux. Toujours dans ses mémoires il écrivit « j’ai vécu avec les berbères en partageant leurs existences et en adoptant leurs manières. Il y’a beaucoup de sang Maure en Espagne. J’ai probablement une bonne part de sang maure, d’ailleurs je ressemble suffisamment à un maure pour passer pour l’un d’eux ».
Après la fin de la guerre du Rif, il rejoint l’Espagne d’où il continue de préparer le « grand soir » en organisant des réseaux de militants communistes clandestins. Arrivée la guerre civile espagnole, il rejoint le camp républicain et se bat contre les « franquiste ». Durant cette période, il est élevé au rang de général des forces républicaines, honneur qu’il n’accepta que difficilement, lui qui refusait obstinément de rejoindre les rangs des officiers.
C’est aussi durant cette période qu’il se rendit coupable de l’un de ses pires actes de violence : il exécuta plus de 400 prisonniers marocains en réponse à une défaite des brigades communistes. En effet, le General Franco, ennemi politique d’El Campesino, comptait parmi ses hommes, une garde maure qui était composée de soldats professionnels rassemblés par le général nationaliste depuis les régions nord marocaines alors sous contrôle espagnole. Cette armée de « MOROS » eut un impact militaire décisif dans la guerre civile opposant Franco aux républicains. Dans le cas du massacre des 400 prisonniers marocains, sa colère meurtrière s’explique probablement par« l’efficacité » des troupes marocaines de la garde maure qui servait de fer de lance à l’armée franquiste dans son combat contre l’armée républicaine dont El Campesino faisait partie. Rappelons qu’ El Campesino était le genre d’hommes capable de fusiller ses propres soldats si par malheur ils devaient flancher dans un champ de bataille.
Devant l’avancée des nationalistes de Franco, El Campesino s’exile en Union soviétique où il est d’abord reçu en héros par le régime de Staline. Mais son refus de l’autorité l’amènera à insulter publiquement Staline alors qu’il ne lui proposait rien de moins que de devenir Maréchal de l’Union Soviétique ! Le dictateur lui fera payer son impertinence en l’envoyant en prison. Prison d’où il s’évada de manière spectaculaire trois fois en Ouzbekistan, en Sibérie puis depuis la frontière iranienne. Après avoir réussi sa sortie du territoire de l’Union soviétiquen il regagne la France où il se réfugie.
Après une vie de Baroud, de bataille et de militantisme vraiment sans concession, la brute généreuse qu’était El campesino s’éteint à Madrid le 20 octobre 1983 dans l’indifférence, l’oubli et la pauvreté.