Arbitre de foot est un mandat bien ingrat. A chaque match l’arbitre est obligé d’incarner un tyran toujours craint mais jamais respecté. Les rares fois où il est applaudi c’est toujours de mauvaise foi par les supporters de l’équipe qui bénéficie de ses décisions. Sa position tragique est confirmée par les reproches paradoxaux qu’il doit subir : il est accusé par les « petites équipes » de favoriser les grandes équipes et par les grandes de pencher vers les outsiders. Au Maroc, on ne connaît que trop bien ces arbitres dont les erreurs d’arbitrages n’ont profité qu’aux adversaires les plus prestigieux des lions de l’atlas. Mais l’inverse existe aussi, il arrive que des arbitres soient très sérieusement accusés de pencher envers les « petites équipes ». Par exemple, la Corée du Sud de 2002, considérée alors comme l’outsider face à une équipe italienne donnée favorite, est accusé par une grande partie de la presse européenne de s’être appuyé sur un arbitre corrompu pour remporter un match devenu légendaire pour les sud-coréens mais infâme pour les italiens. La suite de l’histoire semble donner raison à la version italienne après que l’arbitre en question ait vu son éthique sérieusement mise en doute après son arrestation dans un aéroport américain avec 6 kilos héroïne dans les bagages.
L’arbitre est le personnage qui court le plus dans un match de foot. Les supporters maudissent régulièrement sa mère. Sur les plateaux télé, la chasse aux décisions arbitraires des arbitres est une activité très en vogue .Sa solitude est elle aussi presque poétique : même dans des stades plein à craquer, il demeure seul face à ses décisions. Au Maroc, tous les connaisseurs des matchs de division amateurs (qui sont épargnés par les caméras des médias) vous diront que l’arbitre doit même constamment composer avec le risque d’être lynché par une petite foule de supporters en colère ou des joueurs mécontents suite à une décision impopulaire…
Pour diminuer les passions autour des fonctions d’arbitrage, les instances dirigeantes du foot ont formulé une réponse bien grossière à un sujet pourtant bien complexe : le numérique. Déployé en 2016 pour la première fois, le cyber arbitre qu’est le VAR (Video Assistant Referee) connaît une mutation substantiel lors de ce mondial du Qatar 2022 en s’équipant d’une intelligence artificielle permettant la détection semi-automatique des hors-jeux. Probablement enhardie dans sa démarche de robotisation de la fonction d’arbitrage par des études indiquant le nombre conséquent d’erreurs humaines évitées grâce au VAR, la FIFA semble avoir choisi d’ignorer les critiques diverses émanant autant de simple spectateurs passionnées inquiets de voir le rythme de jeu perturbé par les interruptions des matchs imposées par le rembobinage vidéo, que des spectateurs plus philosophes, qui craignent la logique transhumaniste sous-jacente au VAR visant à épurer le football des erreurs humaines. Des craintes justifiées ?
Les arguments en faveur du dispositif d’arbitrage assisté par vidéo ne manquent pas. Ils se basent sur des désirs de justice et d’équité universel. Les études les plus sérieuses pointent aussi des taux statistiques franchement favorables à l’utilisation de l’arbitrage vidéo pour corriger les erreurs humaines. Mais alors pourquoi le VAR est aussi controversé ?
Le Var est-il trop précis ?
Stade « Al Bayt», ville El Khor, 2 min45 de jeu, premier match de la coupe du monde 2022, l’équateur marque le premier but de la compétition face au Qatar. C’est aussi le premier but invalidé par une nouvelle technologie inaugurée à l’occasion pour la première fois : la détection semi-automatique des hors-jeu. En s’appuyant sur près de 12 caméras et d’un ballon connecté, une intelligence artificielle permet d’identifier des hors-jeux qui n’auraient probablement jamais été décrétés par des arbitres humains. C’est d’ailleurs le cas pour ce premier but de l’équateur qui est refusé à cause d’un hors-jeu techniquement authentique mais qui reste néanmoins particulièrement dérangeant. Car s’il y a effectivement hors-jeu, c’est seulement dans son sens le plus littéral et donc le plus étroit. On peut en effet plaider que l’infraction était parfaitement invisible dans le chaos ambiant et que le but n’est pas la conséquence du positionnement hors jeu du joueur équatorien initiateur de l’action de but mais d’une sortie ratée du gardien qatari. Une scène qui cristallise à elle seule, les excès d’arbitrage « inhumain » car trop parfait et la preuve que le VAR est autant une bénédiction qu’un cauchemar footballistique.
Les craintes philosophiques
Les dangers du transhumanisme sont des sujets très sérieux mais qui sont trop souvent associés par le néophyte aux fantasmes insensés véhiculés par les fictions hollywoodiennes mettant en scène des intelligence artificielle devenue cauchemardesque après être devenue consciente. En réalité, les dangers du transhumanisme sont insidieux car souvent abstraits bien que leurs conséquences soient bien réelles. Toute la littérature de science fiction et cyberpunk n’existe d’ailleurs presque que pour prouver que le transhumanisme est une impasse. Dans ce sens, le VAR est accusé de porter une intention d’épuration des erreurs d’arbitrage en transformant l’arbitre en une sorte de robocop omniscient capable de sévir avec ubiquité contre la moindre infraction aux règlements. Une telle démarche qui relève du fantasme est bien sûr vouée à l’échec car l’exercice d’arbitrage inclut aussi de considérer l’intention du geste. Et qui dit intention dit interprétation, et l’interprétation des velléités des joueurs demeure une partie essentielle du travail d’arbitre. Une partie très humaine qui ne pourra jamais être digitalisée et déléguée à des caméras ou des capteurs, aussi sophistiqués soient-ils.
Le VAR peut aussi favoriser les erreurs arbitrales
Comme expliqué ici par l’ethnologue Christian Bromberger « La vidéo isole, décontextualise et même déréalise la situation qui prête à discussion. Au ralenti, une main qui frotte un visage devient une claque, un pied qui effleure la jambe une agression… L’intentionnalité de la faute est difficilement appréciable, et l’arbitre paraît tout autant sujet à l’erreur avec que sans vidéo. ». D’autres erreurs plus flagrante peuvent aussi être reproché au VAR comme son utilisation douteuse lors du mondial de 2018 par exemple, lorsque l’Arbitre (qu’on aurait tout aussi bien pu nommer Arbitraire) du Match Maroc-Espagne, utilise le VAR non pas pour corriger une erreur mais pour en commettre une en acceptant un but non valable de l’Espagne après l’avoir examiné … avec le VAR ! Lors de ce même match du mondial 2018, il refuse aussi de recourir au VAR dans des situations qui auraient pourtant pu favoriser le Maroc…
La défense désavantagée ?
Des commentateurs expliquent que les duels aux corps à corps risquent de se faire plus rares et que des tactiques de jeu comme le marquage à la culotte risque de disparaître face à une défense en zone devenue de plus en plus incontournable depuis l’apparition de l’arbitrage vidéo. Quant aux théâtrales simulations auxquelles s’adonnent les joueurs pour obtenir des cadeaux arbitraux, elles risquent de devenir plus fréquentes du côté des attaquants qui seraient incités à forcer de plus en plus le contact avec les défenseurs en vue d’obtenir des penaltys et autres coup francs avantageux non-mérités. Loin d’être anodin, le VAR influencerait donc en partie les tactiques de jeu et le comportement des joueurs…
Les erreurs d’arbitrage sont-elles nécessaires ?
On peut même défendre que les passions que déchaînent les erreurs d’arbitrages font partie de l’essence du jeu. En souhaitant leurs suppressions, c’est l’esprit du foot qui se retrouve menacer. Et si les plus fervents défenseurs du VAR en arrivent à plaider pour un tel horizon, c’est principalement parce qu’ils ne supportent pas le rôle des arbitres autant que gestionnaire du match. A la manière d’un bureaucrate du 21 siècle qui doit voir son autonomie contrainte par le numérique et les manuels de procédure, on souhaite que l’arbitre dispose de moins d’autonomie pour tolérer ou pas une action litigieuse en fonction des circonstances du Match. Une telle autonomie, aussi dérangeante soit-elle, est pourtant nécessaire pour que l’arbitre calibre ses décisions selon des circonstances dynamiques comme le comportement du joueur ou l’existence ou non de précédent avertissement le visant.
La tendance qui se dessine veut que le numérique vienne de plus en plus rogner le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre pour le meilleur mais aussi hélas pour le pire.