Caligula est un sujet controversé pour les historiens de la Rome antique. L’ Afrique du nord se rappel de lui comme de l’empereur qui exécuta Ptolémé roi de Maurétanie, parce qu’il osa porter une cape pourpre trop belle et voyante. Empereur fou pour certains, jeune empereur naïf et bien intentionné mais dépassé par la scène politique de l’époque pour d’autres, le sujet passionne jusqu’au dans la recherche médicale ou nombre de psychiatres tentent un diagnostic de la personnalité atypique de l’empereur.
L’un des traits de caractères les plus notables de la personnalité de Caligula est son insistance à ce qu’il soit considéré comme un Dieu vivant. Et pour convaincre le public de sa nature divine, il n’hésita pas à couper la tête des statues des dieux des temples pour les remplacer par la sienne. Pas très humble, il signait parfois des documents officiels par « Jupiter ». Loufoque, il ridiculisait des sénateurs qu’il faisait courir en toge à côté de sa voiture. Excentrique, il faisait se battre au cirque de hauts personnages de l’Etat âgés ou infirmes avec des gladiateurs octogénaires. Il condamna aux fauves des gens innocents. Il contraint des pères à assister aux supplices de leurs fils….
Mais l’un des faits les plus retentissants et qui revient souvent lorsque Caligula est mentionné, reste son intention de nommer son cheval adoré au poste de consul. Si l’incongruité d’une telle démarche vous a échappé, alors sachez que c’est comme si un roi ou un président contemporain voulait faire de son animal de compagnie chef du gouvernement ou premier ministre. Inutile de dire que cela ne manquera pas de créer le buzz. Dans la tradition romaine comme dans l’imaginaire populaire contemporain, on ne garda de Caligula que ses prétentions à la divination et à l’absolutisme. De tels comportements ne s’expliqueraient que par la maladie qui aurait rendu le jeune empereur complètement fou ? C’est ce que des historiens tels que Sénèque, Philon d’Alexandrie ou Suétone ont voulu qu’on garde de lui. Sauf qu’il est aussi très probable que la réalité soit beaucoup plus nuancée car ces mêmes historiens sous couvert d’érudition ou de scientificité avaient probablement grand intérêt à noircir le tableau pour certains empereurs et d’exulter les qualités d’autres selon leurs propres intérêts personnels.

D’autres chercheurs plus modernes, défendent l’idée pas si folle, que Caligula n’était pas si fou. En osant une narration relativisant la notion de folie et en reconnaissant la frontière floue entre raison et déraison, ces historiens, ont même parfois su voir en Caligula un personnage clairvoyant et obéissant à une logique implacable. Ainsi la boutade du cheval-consul se comprend par le mépris qu’avait Caligula pour les fonctions aristocratiques et bureaucratiques de l’époque : il voulait faire entendre que cette bête ferait aussi bien que n’importe lesquels de ces aristocrates. Son mépris de l’aristocratie de l’époque contrastait avec sa politique en faveur du petit peuple et des fonctionnaires de l’Etat (qu’on appelait la classe équestre). Il s’entoura d’affranchis, promut les spectacles gratuits, rétablit le collège populaire…D’ailleurs l’un de ses contempteurs, philon d’Alexandrie, reprochait à l’empereur que son règne apporta une société plus égalitaire qu’il déplora ainsi : « Les riches ne passaient pas devant les pauvres ni les célébrités avant les gens obscures…Les maitres ne l’emportaient pas sur les esclaves ; les circonstances donnaient l’égalité ».
Amoureux sincère de la plèbe, et haïssant la haute société de l’époque, il ne voulait plus ménager les aristocrates du sénat. Ces derniers crièrent alors à la tyrannie et se mirent à exalter les passions de la liberté face au despotisme de l’empereur. Bien qu’ils étaient eux-mêmes des esclavagistes qui se partageaient de père en fils d’importantes richesses politiques et matérielles et qu’ils considéraient le peuple –c’est-à-dire les autres qui n’eurent pas la présence d’esprit de naitre aristocrate – comme naturellement inférieur…
Les aspirations à la divinisation, elles aussi, ne sont pas si incongrues si on délaisse les lunettes de notre époque. Caligula en tant qu’empereur de Rome est ipso facto pharaon en Egypte, un pays ou le pharaon est Dieu. Il était donc déjà Dieu en Egypte pourquoi ne le serait-t-il pas partout sur le territoire romain ?
Les exactions qu’infligeait Caligula à l’aristocratie ne s’expliquent donc pas nécessairement que par la supposée folie de l’empereur, mais d’une haine parfaitement rationnelle envers l’hypocrisie des gens de la haute société de l’époque qui défendaient surtout LEURS libertés : principalement la liberté de profiter comme ils l’entendent des avantages de leurs naissances. Caligula voulait probablement incarner un monarque absolu représentant le peuple face à une classe aristocratique sénile et farouchement attachée à ses propres privilèges. Cette volonté de s’opposer au sénat explique aussi –et peut-être plus que ses nombreuses extravagances impériales – comment il est rentré dans l’histoire comme l’archétype de l’empereur fou.