Une campagne de protestation numérique bat actuellement son plein sur les réseaux sociaux, le hashtag #Dégage_Akhannouch caracole depuis maintenant 3 jours en tête des tendances sur la plupart des grandes plateformes sociales du web. La colère des protestants numériques se cristallise principalement autour de l’inflation des prix du pétrole et autour de la double casquette du Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, homme d’affaires et actionnaire d’une entreprise de distribution d’hydrocarbures du pays.
À l’origine de la colère, il n’y a pas que l’inflation généralisée qui frappe le pays. C’est plutôt un paradoxe particulier qui semble avoir eu raison des nerfs d’une partie de la classe moyenne marocaine : une baisse du prix du baril qui ne s’est pas traduite par une baisse des prix à la pompe. Cette asymétrie entre les prix du baril et les prix à la pompe alimente actuellement une indignation généralisée s’exprimant pour l’instant principalement à coup du véhément Hashtag « #Dégage_Akhannouch » et du plus revendicatif #diesel_7dh. Une asymétrie des prix que beaucoup d’opposants politiques expliquent par la double casquette du chef du gouvernement.
Pourtant, si on y regarde de plus près, des prix du carburant qui baissent plus doucement que ceux du prix du Baril de brut sont un phénomène mondial et historique. Au risque de décevoir les tenants d’une exception marocaine en matière de prix à la pompe, ce phénomène n’a probablement rien à voir avec la double casquette d’Akhannouch. Cette dynamique, caractéristique des défaillances du capitalisme, jouit même d’un nom imagé chez les économistes : Rocket and Feathers. Soit Fusée et Plume.
#Dégage_Akhannouch : Akhannouch victime du « Rocket and Feathers »
Cette dynamique est bien connu des économistes : si une hausse soudaine du prix du baril de brut peut faire s’envoler les prix à la pompe à la manière d’une fusée, l’inverse n’est ,hélas, pas systématique, car une baisse du prix du baril de brut ne se traduit généralement que par une baisse graduelle et molle des prix des carburants. À la manière d’une plume, d’où le « Feathers » de Rocket and Feathers.
Mais les causes du « Rocket and Feathers » s’explique selon divers papiers académiques par des contraintes propres aux distributeurs de pétrole. Et comme toujours, pour expliquer cette asymétrie entre les variations du prix du brut et des prix à la pompe, les économistes offrent une myriade d’explications (qui se contredisent parfois) parmi lesquelles : les dysfonctionnements des marchés avec des situations d’oligopole ou encore des consommateurs pas suffisamment vigilants qui sont satisfaits de petite baisse de prix après des périodes de hausse trop prononcée. Les consommateurs échoueraient donc à faire jouer la concurrence. Une autre explication qu’on retrouve dans certaines analyses, voudrait que les entreprises de distributions d’hydrocarbures engrangent paradoxalement bien plus de profits lorsque les prix chutent comme une « plume » que lorsqu’ils montent en « fusée ». Les distributeurs de pétrole ont donc une incitation économique majeure à ne pas répercuter totalement les variations des prix du brut sur les prix du diesel et de l’essence.
Et comme beaucoup de phénomènes économiques, ce dernier s’est récemment particulièrement politisé –même chez les économistes- . Les académiciens, proches des dirigeants au pouvoir, rappellent que les gouvernements sont particulièrement démunis face à l’inflation actuelle. Ce qui est en partie vrai. Alors que les opposants critiquent des dynamiques monopolistiques qui défavorisent les consommateurs. C’est le cas par exemple de Jeff Bezos, aux États-Unis, qui a récemment déploré chez le président Biden « une profonde méconnaissance des dynamiques du Marché ». Ce qui est plutôt osé venant du patron d’un des plus grands monopoles du monde…
#Dégage_Akhannouch : réactions de l’opposition
Au Maroc, et en dehors des cercles académiques, cette politisation s’est traduite par les sorties de représentants de l’opposition comme Nabil Benabdellah, ancien ministre et secrétaire générale du PPS ainsi que de l’ancien Chef du gouvernement Abdelilah Benkirane qui s’attaque souvent au gouvernement d’akhannouch sur les prix des carburants, mais qui a préféré cette fois garder ses distances avec les voix demandant le départ d’Akhannouch de la primature.
#Dégage_Akhannouch : de cyber miliciens impliqués ?
D’autres parties mystérieuses et « organisées » se seraient aussi jointes à la campagne numérique en créant massivement des faux comptes sur Twitter, des faux comptes visant à alimenter artificiellement la campagne contre le Chef du gouvernement actuel.
#Dégage_Akhannouch : une subvention presque impossible
Au Maroc, subventionner de nouveau le pétrole serait une hérésie budgétaire. En 2012, la compensation des hydrocarbures coutait à l’État 42 milliards de dirham pour un parc automobile s’établissant alors à l’époque à 3 millions de véhicules. En 2017, le parc automobile s’établissait à 4 millions de véhicules. Il n’y a pas de chiffres officiels pour 2022, mais 5 millions de véhicules en circulation sont une hypothèse raisonnable. Sans prendre en compte l’inflation et au vu de l’augmentation du nombre de véhicules, subventionner aujourd’hui le diesel couterait donc probablement (et c’est une estimation assez basse) environ 70 milliards de dirhams au budget de l’État. Soit 6 milliards de plus que le budget du ministère de l’Éducation ! 70 milliards de dirhams c’est aussi presque trois fois plus que celui du ministère de la Santé. La compensation des hydrocarbures deviendrait donc est de loin le premier ministère du pays !
En termes de gouvernance, subventionner le pétrole, ne va pas aussi de soi. Parce que les véhicules à combustion sont des polluants nuisibles, la Norvège qui est un grand producteur d’hydrocarbures, a par exemple choisi d’orienter l’argent issu de ses richesses pétrolières vers des dépenses comme l’éducation, la santé ou encore la transition énergétique au lieu de faire bénéficié ses citoyens de bas prix à la pompe .
Tous les gouvernements du monde font face actuellement à des tensions inflationnistes. Que le gouvernement choisisse de sanctuariser une partie du budget et évite qu’il ne finisse littéralement en fumée dans les moteurs à combustion de nos voitures, est tout à son honneur. Mais le problème, c’est que depuis son élection, le gouvernement, ne fait que fanfaronné autour de projet d’investissement au montage douteux porté par des technocrates qui peinent à déployer une envergure politique à la hauteur des enjeux actuels. C’est le cas notamment du programme Forsa dénoncé comme stupide et louche jusqu’à par des membres de la coalition gouvernementale ! Sans oublier les nombreux scandales largement évitables comme celui du recours abusif aux « influenceurs », les conditions discriminatoires d’accès aux concours de l’enseignement, les campagnes de communication douteuse… Le RNI de Akhannouch, qui fait face à une superposition de crises d’ampleurs (sécheresse, pandémie, inflation mondialisée) presque inédites dans l’histoire du Maroc, voulait marquer la différence avec le populisme du PJD de Benkirane, mais semble pour l’instant s’être empêtrée dans un élitisme malsain. Peut-être est-il temps que le gouvernement change de style et ose plus d’authenticité ?
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