La tuberculose est une maladie porteuse de bien des paradoxes. Elle est curable pourtant avant le covid, c’était la maladie infectieuse qui causait le plus de décès par an. La bactérie à l’origine de la tuberculose, la Mycobacterium tuberculosis, fut découverte il y a 152 ans donnant alors naissance à la théorie des germes- qui fut en son temps une révolution quasi newtonienne de la biologie et de la médecine- pourtant la bactérie persiste toujours aujourd’hui à faucher quelques 1.5 million d’âmes en moyenne chaque année. Elle est facilement éliminée par les hautes températures et pourtant c’est l’invention du feu qui aurait permis à la bactérie d’atteindre les humains.
Tuberculose : une maladie causée par la première invention humaine ?
Elle est l’une des maladies les plus vieilles du monde, et bien que son origine ne soit pas encore définitivement scellée, l’une des narrations proposées par les scientifiques voudrait que la bactérie ait commencé à tourmenter les humains avec l’invention du feu et donc depuis la préhistoire. La fumée issue des premiers « feu de camp » établit par les premiers humains auraient endommagé les poumons de nos ancêtres rendant ainsi possible une contamination par la mycobactérie présente dans les poussières de l’environnement (particules de sables ou de terre par exemple ). Le feu, aurait aussi participé à optimiser la transmission interhumaine, car en se rassemblant autour d’un feu, les hommes des cavernes adoptaient précisément le type de comportement si propice à la transmission des infections respiratoires. L’innovation technologique n’aurait donc pas que des bienfaits et cela depuis Cro-Magnon ! Cette théorie voudrait aussi que la tuberculose ait été transmise ensuite aux animaux par les humains, ce qui est bien surprenant, car généralement les scientifiques considèrent que ce sont les animaux qui constituent le réservoir premier des virus et bactéries, et que ces derniers se transmettent aux humains à travers le contact avec des animaux contaminés. C’est la théorie de la zoonose, largement admise par les scientifiques.
Mais si son origine reste encore sujette à débat, la cause première de l’épidémie actuelle est bien documentée : les vaches. Au Maroc, cela est particulièrement vrai au regard de certaines dispositions très risquées, mais largement répandues au sein de la population marocaine : l’engouement autour des produits laitiers « beldi » comme le zebda Beldia (beurre artisanale), le leben (lait fermenté) Beldi, ou encore le lait non pasteurisé directement de chez le fermier…
Les réglementations de l’ONSA au Maroc sont en théorie à même de protéger les Marocains de la tuberculose bovine. Selon la loi, les produits laitiers doivent tous passer par des traitements thermiques capables de tuer les bactéries responsables de la tuberculose. Mais le circuit informel, composé de milliers de « ma7elaba » et de petits fermiers , s’est depuis longtemps émancipé de la loi sur les produits laitier, encouragé par l’enthousiasme de la population pour des produits laitiers artisanales. Dans l’imaginaire collectif, les produits estampillés « beldi » sont associés à des vertus perdues d’un temps révolu, des temps non corrompus caractérisés par une foi naïve, mais pure, des temps où les additifs chimiques en tout genre n’étaient pas la règle. Une époque où notre alimentation n’était pas contaminée par des procédés techniques assimilé à « la modernité occidentale » est donc forcément louche. Cette narration, largement partagée au sein de la société marocaine, pourrait bien expliquer pourquoi la tuberculose prospère autant au Maroc.
Tuberculose, les accusés : Zebda Beldia, lait de colportage, et L’ben artisanale
L’ampleur du circuit informelle autour des produits laitiers est étonnante au vu des risques qu’ils comportent. Prenez le Leben Beldi par exemple, il est largement répandu en accompagnement du couscous du vendredi. Quant à la Zebda Beldia, avec du miel ou de la confiture, elle reste une valeur sûre pour réussir un savoureux petit déjeuner « marocain » traditionnel. Mais ces pratiques qui semblent si inoffensives feraient probablement s’étrangler n’importe quel connaisseur des rudiments de la sécurité alimentaire.
Une vache contaminée par la tuberculose et dont le lait aurait servi à la fabrication de produits laitiers de manières artisanales pourrait en théorie contaminé des centaines de personnes ! Même si la bactérie se multiplie généralement lentement, une seule bactérie peut suffire à contaminer une personne. La personne devient alors à risque de développer la maladie et donc de devenir contagieuse. Non traitée, une personne contagieuse peut à son tour contaminer 10 à 15 personnes, ce qui ne manquera alors pas d’alimenter des chaines de contamination suffisante pour entretenir à terme une épidémie.
Il n’ y pas que l’appétence quasi mystique de la population pour les produits laitiers « beldi » pour expliquer l’envergure de l’exposition des Marocains à la tuberculose. La pauvreté et le peu de moyens font que les revendeurs de produits laitiers artisanaux (les laiteries de quartier par exemple) trouvent dans le lait de colportage, issus directement de chez le fermier, un produit moins onéreux et donc plus rentable à la revente que le lait en boite pasteurisé des entreprises formelles.
En dehors de campagne de sensibilisation, l’État est aussi particulièrement démuni face à la propagation de la tuberculose au Maroc. Le circuit informel animé par les laiteries et des petits agriculteurs est difficile à contrôler. En plus du fait que les laiteries sont des établissements très communs et donc très nombreux, il y a une limitation technique au contrôle de ce type d’établissement : il est très difficile d’identifier la Mycobacterium Bovis directement dans le lait, les tests de dépistage actuelles ne peuvent en effet détecter la bactérie que sur les humains ou les animaux, pas dans le lait.
Il reste largement établit que la consommation de produits laitiers non pasteurisés constitue la voie de contamination principale de la tuberculose dans des pays comme le Maroc. Les politiques de dépistage et d’élimination de la maladie restent encore très difficiles à mettre en œuvre à causes des pratiques alimentaires bien ancré dans la culture du Maroc. Selon l’OMS prés d’un quart de la population mondiale est porteuse de la bactérie responsable de la tuberculose. Nombre de porteurs ignorent probablement qu’ils abritent un foyer de Mycobacterium Bovis dans leur organisme car la bactérie est généralement silencieuse- c’est la tuberculose dite latente et elle est non contagieuse- mais dans les cas ou le système immunitaire est affaiblit, la tuberculose se déclare et devient alors contagieuse en plus de menacer le pronostic vital des ses hôtes les plus fragiles. Au Maroc, et à cause de la présence massive des produits laitiers artisanaux dans les habitudes alimentaires des Marocains, un médecin nous a confié qu’il est enseigné au futur médecin sur les bancs de la fac que « tout marocain est tuberculeux jusqu’à preuve du contraire ». Jusqu’à quand ?